19% de taux d’intérêt : la vérité crue sur le Microcrédit

17 novembre 2010

19% de taux d’intérêt : la vérité crue sur le Microcrédit

Il y a deux jours je regardais un film intitulé en espagnol « La cruda verdad ». Parfait sous-titre de ce post : « la vérité crue ». Alors que je pensais que micro-crédit voulait dire crédit à faible taux, j’ai réalisé ici que « micro » veut dire « petite somme » et que les taux restaient exorbitants.

Il y a bien des déceptions dans la vie d’une « gringa ». Petite blanche toute fraîche élevée aux idéaux et aux grands principes de « Liberté, Egalité, Fraternité », tenter l’aventure péruvienne est pour moi une suite de beaux moments, de surprises et de rudes confrontations à la réalité. Quand je vivais dans mon petit appartement parisien, j’avais entendu parler du micro-crédit comme une solution pour sortir les pays de la pauvreté en prêtant à tous de petites sommes pour démarrer. Formidable. Ça avait même valu en 2006 un Prix Nobel de la Paix à son concepteur, l’économiste Muhummad Yunus.

Arrivée ici je ne comprenais pas pourquoi les producteurs de café qui m’entourent empruntaient les 10 000 soles (quelques 3000 euros) pour mener à bien leurs récoltes à des taux de 10% sur trois mois et se pressaient de rembourser. « Il existe le micro-crédit », répétais-je en boucle. Personne ne voyait de quoi je parlais. Des taux de moins de 5% où est ce que j’étais allée pêcher ça ? Je les ai donc incité à entrer dans des coopératives où l’accès au micro-crédit est facilité. Nombre d’ONG ou de structures de micro finance ne prêtent pas aux particuliers, il faut un intermédiaire qui se portera garant et ira vérifier sur le terrain l’utilisation des précieux fonds.

Et le « miracle » a eu lieu. L’autre jour nous avions rendez-vous avec notre coopérative, organique et équitable avec toutes les certifications (Starbucks, Rainsforest, Max Havelaar…), pour récupérer les résultats de l’analyse du sol et notre « ordonnance » organique. Nous voyant fort motivés, l’ingénieur agronome évoque la possibilité de faire partie du programme de coupe du café qui permet aux producteurs d’accéder au prêt spécial de la coopérative.

Mon oreille se dresse, je suis à l’affût, enfin quelqu’un va nous parler du micro-crédit. Il enchaîne, un prêt pour pouvoir amortir les coûts de cette nouvelle technique qui endommage moins la plante et le sol et ravira les bobos heureux de savoir la planète bien protégée par le « petit producteur » en photo au dos du paquet. Un prêt d’un an entier à taux fixe. Un prêt spécial en récompense de ce geste écologiquement correct… Un prêt à seulement 19% de taux d’intérêt.

Sourire satisfait de l’ingénieur. Mine décomposée de la gringa. « 19% !!!! Mais enfin c’est énorme ». « Ah, mais non, Mademoiselle, c’est tout à fait exceptionnel, dans le secteur privé c’est bien plus. Nous passons par Agrobanco, organisme public de micro-crédit aux petits producteurs. Le taux est minimum. » Inutile d’argumenter sur la perception d’un taux minimum, une petite enquête fera l’affaire.

Un coup de Google et d’articles en articles, je comprends enfin ce qu’est réellement le micro-crédit. Avant je ne m’étais jamais donné la peine. Je lisais juste la conscience tranquille la petite histoire au dos du paquet. Il s’appelle « micro » car il s’agit de petites sommes, le taux, lui, reste « maximo ». Ce principe permet de prêter aux plus pauvres de petites sommes sur un temps court pour se lancer dans une activité. Auparavant c’était impossible ou il fallait faire appel aux usuriers et prêteurs sur gage qui peuvent atteindre les 100% de taux. C’est donc un progrès. Mais comme prêter petit coûte administrativement la même chose que prêter grand et qu’il faut en plus un aréopage d’experts pour assurer le suivi des emprunteurs et de la destination des fonds, on arrive à une moyenne de taux de 26,4% annuel pour les Instituts de Micro Finance. 19%, oui, c’est exceptionnel.

J’ai dû parcourir pas mal de sites pour me faire une raison. Partout on encensait les miracles du micro-crédit mais personne ne précisait les taux. Pourquoi assombrir le tableau ? Et désillusionner les donateurs si heureux de tendre la main au « petit producteur ». Jusqu’à ce que je lise cette tribune parue dans Le Monde d’Esther Duflo, économiste, qui relativisait : certes les entreprises familiales vivotent grâce au micro-crédit mais ne sont pas génératrices d’emplois stables ni de changement notable des conditions de vie. Un moindre mal en quelque sorte.

Alors que je m’indigne et lance ce post pour que d’autres m’expliquent les solutions trouvées dans leur pays pour que «micro » s’applique à la fois au montant et au taux, mes petits producteurs à moi, voisins ou amis, font la queue chez MiBanco ou dans les Cajas Rurales pour avoir en main les fonds pour nourrir le sol et payer la main d’œuvre en attendant le fruit de la récolte. Ils vont emprunter 10 000 soles à un taux de 38% par an (chez MiBanco) qui diminuera si ils remboursent plus vite. En conséquence, ils vendront au début de la récolte quand le prix du café est encore bas car attendre que le cours monte c’est aussi laisser courir leur prêt et les acheteurs le savent. Ils auront gagné une marge qui ne suffira pas à assurer la vie de la famille et les investissements de la plantation pour un an et retourneront, résolus, dans la queue de la banque. « Mieux que rien et mieux qu’avant » disent-ils en haussant les épaules à la gringa en colère. A eux, personne n’a jamais promis « Liberté, Egalité, Fraternité ».

PS : En France aussi le micro-crédit existe. L’ADIE prête à un taux de 9,71% annuel à ceux que les banques refusent.

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Commentaires

chrys
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Tres bien dit.. ou écrit ;)!
C'est malheureusement à mon sens LE gros probleme du pays : le manque d'accès au crédit. Et quand tu y as accès, c'est à des taux de voleurs.. n'ayons pas peur des mots. En France, les banques se battent pour prêter aux entreprises. Ici, l'entreprise doit se débrouiller pour survivre pendant un an pour avoir la chance d'être recue par un banquier qui lui offrira la bouche en coeur 5000 dollars à des taux vous obligeant `payer le double en quelques années. Dur dur.
Bon courage à toi! SI se puede!!!!

Marine
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Hello Christelle! Interessant... Moi, je me suis aperçue que le système du "microcrédit" existe depuis très longtemps en Afrique. Pas sous la forme actuelle mais en Afrique du Sud, sous l'apartheid, les gens s'associaient, épargnaient tous les mois une petite somme et finançaient tous les ans le projet d'un épargnant. Ca pouvait être une maison pour quelqu'un qui n'en avait pas, une école, un petit commerce et la personne remboursait en cotisant pour les autres. Le problème, c'est qu'aujoud'hui, on considère souvent ces maisons ou commerce comme illégaux. Certains continuent cette forme d'épargne solidaire pour payer des petits voyages. Et apparemment, ce système est très répandu en Afrique.
Si on écoutait un peu plus les gens sur place, on éviterait peut-être de détruire les systèmes sociaux en place ... pour les réinventer plus tard!
Bisous et bon courage à toi!
Marine

Christelle BITTNER
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Oui je sais. j'avais fait un papier à paris sur une fille chauffeur de taxi et elle avait procéder comme ça en France. Je crois que ça s'appelle "tontiner" si je me souviens bien et chacun dans sa globalité prêtait aux autres. Mais quels sont les taux dans ce cas là? ici aussi la solidarité fonctionne bien, c'est souvent le seul moyen.

kevinado03
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il n'y a pas de taux d'intérêt pour la tontine telle que vous la décrivez. C'est une solidarité agissante entre ceux qui cotisent. Chacun attend son tour pour investir.

chrys
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Ici, ( au perou,pardon!)ce sont les systemes de Juntas, igual que les Tontines en Afrique... Y en a sans interet. Y en a avec interet.. MAis ca permet d avoir de scredits aux gens qui peuvent pas y avoir droit.Algo es algo.
Saludos

Christelle BITTNER
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Oui effectivement un pays qui ne peut emprunter reste étouffé sous les taux et avec des projets qui ne peuvent grandir... En France, j'avoue, je ne sais pas... Idem on accorde plus facilement un prêt aux fonctionnaires avec poste à vie que aux entrepreneurs aux idées innovantes! Mais le système d'aide et les assos aident bien. Bon courage à toi aussi.

Jean-Marc
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Quoi ???on m'aurait menti? on ne vit pas au pays de Candy? ah ben mince alors....
Sinon je crois qu'Edith s'appelle Esther.

Christelle BITTNER
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Oui Esther, pardon, j'ai mes notes sous les yeux et c'est cela. Rien à voir avec Candy, juste que le micro-crédit est une solution présentée comme miracle mais personne ne parle des taux proposés, c'est très rare que ce soit précisé. C'est un pas en avant par rapport aux usuriers des rues mais il reste bcp à faire.

Antoine
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Vous dites que les taux sont "exorbitants". Oui ,mais dans l'absolu, 15%, 10%, et même 5% c'est encore exorbitant. Et finalement est-ce que que payer pour louer de l'argent n'est pas immoral? c'est un très bonne question...

Je disais, "dans l'absolu".
Mais voyons, plus prosaïquement, le cas "relatif" d'un établissement mutualiste comme la Cajas rurales. Les paysans s'associent et créent leurs caisses en y déposant des parts sociales et des dépôts. Avec ces disponibilités, ils vont accorder des crédits à ceux d'entre eux qui en demandent.
Un homme, une voix: ils décident donc de manière démocratique la politique de crédit à adopter. Ils ont le choix :
1 /appliquer des taux qu'on qualifiera d'"élevés", qui leur permettront de payer les charges inhérentes à l'activité de "épargne-crédit" (loyer des bâtiment, coffre fort, salaires des agents de crédit, véhicules) et même peut être de dégager des bénéfices qui viendront grossir leur capital social.
2 /appliquer des taux qu'on qualifiera de "moyens", qui leur permettront de payer les charges et c'est tout.
3/ appliquer des taux qu'on qualifiera de "bas" : ils ne couvriront pas les charges inhérentes à l'activité de crédit et grignoteront leur capital social jusqu'à faire faillite.

A mon sens la question ne se pose donc pas de savoir ce qu'est un taux d'intérêt exorbitant : dans l'exemple ci-dessus, selon les contextes et les contraintes liées, 19% peut être un taux élevé, moyen, ou bas. La question qui se pose c'est : comment on réparti la richesse créée (quand il y en a). Et à ce compte là, je pense que les Cajas rurales sont mieux placées que Starbucks par exemple.

Autre solution pour obtenir des taux d'intérêt plus bas: faire appel à la puissance publique pour subventionner les taux. C'est aussi une vrai question politique.

bien à vous,

Antoine

Christelle BITTNER
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Bonjour,
Tout à fait d'accord. Je sais bien et je l'explique me semble-t-il que les frais administratifs sont lourds... mais je raconte la chose comme vécue sur place et pas seulement comme théorie. Souvent dans les coopératives ou banques rurales, ce ne sont pas les petits paysans qui sont à la manette faute d'éducation. Et la "fonctionnarite" aiguë n'est pas loin. Jolis bâtiments, jolis sièges en cuir, jolie secrétaire: des investissements nécessaires! De plus la paperasse à remplir est énorme et ralenti le processus tout en augmentant les coûts. idem pour les organismes certificateurs. Conclusion: les richesses ici comme partout ce sont les malins et éduqués qui les récoltent. D'ailleurs quand on dit ici qu'on a une ONG on vous tapote sur l'épaule "un bon business, hein!" Car les aides sont souvent englouties dans des locaux ou des voitures de fonction qui donnent à tous l'image de la réussite sans qu'on ne se soucie plus des projets annoncés. C'est pas très reluisant, c'est une vérité, mieux vaut la dire. Je ne connais pas pour autant le modèle idéal, je constate juste que le chemin sera long. Ici les pouvoirs publics subventionnent via Agrobanco. C'est pour ça que nous avons la chance des prêts à 19% au lieu d'une moyenne de 26%.

manon
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C'est un scandale. Comme toi, je n'avais pas pris la peine de fouiller plus. Je suis complètement choquée et je te remercie pour cet article éclairant, Enamorate. Quelle honte!!! je ne m'en remets vraiment pas.

Comme Antoine, j'appuie : "Et finalement est-ce que que payer pour louer de l’argent n’est pas immoral?" Ce n'est pas une question benête, mais y répondre provoquerait peut-être bien, un jour, le chamboulement nécessaire.

Christelle BITTNER
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Oui mais la réalité économique, on a svt du mal à faire l'impasse. Prêter aux pauvres présente, dit-on, plus de risques donc c'est plus cher... et puis ça demande bcp de garanties et de paperasses surtout car ils n'ont pas les passe-droits habituels. Aucune idée de comment ça se passe ailleurs... j'aurais aimé que nos amis d'Afrique s'en mêlent mais ça plombe peut-être l'ambiance... Haut les cœurs. On fera comme on peut.

David
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Bonjour,

Je me permet d'intervenir car je suis en profond désaccord avec les conclusions que vous tirez dans votre article.

Tout d'abord, personne ne cache les taux élevés du micro-crédit. Ils le sont nécessairement, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, la capacité de financement des IMF (Institutions de Micro Finance) est limitée. Elles doivent, pour subvenir au besoin des populations, elles même emprunter, par exemple à des banques classiques locales, et les taux d’intérêts dans les pays du Tiers Monde sont plus élevés que dans nos pays. Elles empruntent donc elle-même à des taux élevés. Il faut également prendre en compte l’inflation, parfois extrêmement volatile dans les pays en développement, et les taux de change si l’institution se finance à l’étranger. En bref, le coût du financement est élevé, et cela se répercute donc sur les taux à la sortie. C'est notamment pour cela que l'Adie peut proposer des taux beaucoup plus avantageux qu'une agence au Pérou ou aux Philippines, ce n'est absolument pas le même contexte.
Deuxièmement, une des tâches des agents de microcrédit provient des frais d’accompagnement et de suivi, qui doivent être pris en compte dans le bilan financier des IMF, et qui se répercutent sur les taux d’intérêts des prêts. Non, les frais administratifs ne sont pas les même que ceux de nos banques occidentales : rédiger et suivre un dossier pour 1 prêt de 10.000 euros n'a pas le même coût que rédiger et suivre 100 dossier de 100 euros.

Ensuite, la microfinance étant un phénomène "à la mode" depuis le prix Nobel de la Paix décerné à Mr Yunus, de nombreuses personnes assez peu scrupuleuses se sont emparées de l'idée, comme toujours dès que quelques chose semble marcher.
Alors bien sûr la microfinance connaît des dérives. On citera l'exemple de Compartamos, l'IMF mexicaine entrée en bourse qui s'est vu appliquer des taux à 80% pour satisfaire ses investisseurs, ou la banque SKS en Inde qui a poussé au suicide de nombreux paysans insolvables en prêtant aveuglément.
Donc oui il y a des lacunes, et des solutions sont en train de se mettre en place.

Mais il n'en reste pas moins que le microcrédit est un outil financier utile lorsque il est utilisé à bon escient, et je peux vous assurer que la majeure partie des IMF aident réellement les populations locales.
Plus de 95% des emprunteurs parviennent à rembourser leur crédit, preuve que cet emprunt leur a permit de monter leur activité générant des revenus supérieurs au taux d'intérêt.

J'espère avoir été clair, n'hésitez pas à me contredire ou m'interroger
David

Christelle BITTNER
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Je crois, au contraire qu'on est d'accord...

Vous: Deuxièmement, une des tâches des agents de microcrédit provient des frais d’accompagnement et de suivi, qui doivent être pris en compte dans le bilan financier des IMF, et qui se répercutent sur les taux d’intérêts des prêts. Non, les frais administratifs ne sont pas les même que ceux de nos banques occidentales : rédiger et suivre un dossier pour 1 prêt de 10.000 euros n’a pas le même coût que rédiger et suivre 100 dossier de 100 euros.

Moi: Ce principe permet de prêter aux plus pauvres de petites sommes sur un temps court pour se lancer dans une activité. Auparavant c’était impossible ou il fallait faire appel aux usuriers et prêteurs sur gage qui peuvent atteindre les 100% de taux. C’est donc un progrès. Mais comme prêter petit coûte administrativement la même chose que prêter grand et qu’il faut en plus un aréopage d’experts pour assurer le suivi des emprunteurs et de la destination des fonds, on arrive à une moyenne de taux de 26,4% annuel pour les Instituts de Micro Finance. 19%, oui, c’est exceptionnel.

Là moins,
Vous: Mais il n’en reste pas moins que le microcrédit est un outil financier utile lorsque il est utilisé à bon escient, et je peux vous assurer que la majeure partie des IMF aident réellement les populations locales.
Plus de 95% des emprunteurs parviennent à rembourser leur crédit, preuve que cet emprunt leur a permis de monter leur activité générant des revenus supérieurs au taux d’intérêt.
Moi et Esther Duflo: les entreprises familiales vivotent grâce au micro-crédit mais ne sont pas génératrices d’emplois stables ni de changement notable des conditions de vie. Un moindre mal en quelque sorte.

Je remplie sur ma conclusion, mieux que rien et mieux qu'avant, mais rien de miraculeux et une très grosse charge administrative, d'évaluation et de paiers de droite et de gauche... Je n'ai pas mieux. Je dis juste qu'il y a encore une belle marge de progrès.