Pérou-Sénégal: un partout
Pour ce premier jour à Dakar en formation avec RFI et Mondoblog, je suis partie humer l’air de la rue. La même poussière, le même joyeux chaos, les mêmes « mamitas » et ambulants, je n’étais pas vraiment dépaysée. Mais quand je pose la question: « je viens du Pérou, vous connaissez? », je me sens plutôt loin.
Des flots de poussière et de sable soulèvent les rues. « Ici, il faut marcher comme si on pataugeait dans l’eau », m’explique un ami dakarois. Je longe une rangée de six marmites gigantesques sagement alignées sur leurs feux de bois à l’occasion du décès d’une voisine du quartier. Des femmes en boubous chuchotent, en petit groupe, au soleil. De l’autre côté de la rue, les hommes font de même à l’ombre des boutiques, Quelques chants aux allures patriotiques s’élèvent. Dans un coin repose la tête du bœuf dépecé pendant la nuit pour la cérémonie. Ambiance. Je tourne à l’angle de l’hôtel et déjà le flot de la rue m’assaille.
Des mini bus cahotent parés de dessins bleus et jaunes d’où émergent des boubous soyeux et des coiffes enturbannées qu’on appelle ici « mouchoir de tête ». Un troupeau de vaches longe le périphérique d’un pas nonchalant. Quelques chèvres attachées au carrefour broutent le macadam. Et une foule d’ambulants qui ont déployé leurs stands et font comme partout dans les pays en voie de développement: vendre quelque chose plutôt que ne rien faire.
J’avais écrit dernièrement sur ce « sel de la rue péruvienne », les mamitas, je les retrouve ici sous le nom wolof, le dialecte majoritaire, de « serignebi » ou « sornasi », « mon frère » ou « ma soeur », voire, si ils sont plus jeunes, « grand » ou « miss ».
Qu’est ce qu’ils vendent? Du savon, des sandales, des montres, des mangues rondes. Dans un coin, un kiosque offre cigarettes, cafés, cookies, bonbons à la menthe, mouchoirs Il est tenu par un Guinéen posté ici dans l’espoir de mieux.
Les mégaphones posés à même la marchandise ont remplacé l’organe des ambulants: ce sont eux qui se chargent de répéter en boucle les offres du jour. Point de « cumbia » ici mais une ritournelle qui dit « elles sont belles, elles sont belles mes ceintures. Deux pour le prix d’une ». Le propriétaire du stand ne s’époumone plus et somnole dans l’attente du client appâté.
Le bruit, la poussière, l’économie de survie, je suis en terrain connu.
Mais, ici, les enfants, pieds nus, s’agrippent, les mains se tendent rapidement, les « talibais », élèves des écoles coraniques, se chargent de l’aumône pour leur « marabout » ou leur « guide », les estropiés se postent au bas des escaliers: la mendicité est partout. Plus oppressante.
Pour le reste, les métiers de la rue sont similaires: vendeurs à la criée, petits kiosques… Je cherche les nouveautés. Et m’arrête devant un inédit: manucure et pédicure. Au Pérou, on cire les chaussures. Ici on nettoie,coupe, lime, une fois par semaine pour 1500 Francs CFA (2, 30 euros). Les outils sont au sol sur un petit chiffon rose, les clients sur de micros-tabourets et le maître d’œuvre au sol courbé devant la main qui se tend.
On invente aussi. Deux vendeurs de lessive répartissent le contenu d’un grand paquet, 10 000 Francs CFA en petits sachets qu’ils vendront en une journée ou deux. Plus-value? 2000 francs CFA (3 euros). « Quelque chose plutôt que rien ».
Partout, je risque la question: « Pérou? » Le nom roule en bouche « pérrrou, pérrrou » et se perd dans les limbes des mémoires de vieilles cartes accrochées sur des tableaux noirs. On hésite: « américaine? » Au Pérou, l’Afrique est résumée sous une majuscule, un peuple de Noirs et des dialectes étranges. Ici, le Pérou est un mot qui résonne à vide, n’évoque rien.
L’habit ne trompe pas: il faudra croiser un quadra lunettes griffées, sa femme en boubou doré et leur petite fille tressée pour faire mouche… « Pérou? Oui, Lima. » Il est immigré en Italie, le nouveau pays de prédilection des sénégalais depuis que la France n’est plus Terre d’accueil, et a rencontré sur sa patrie d’adoption plusieurs latinos. Il va jusqu’à évoquer des souvenirs que les péruviens ne s’autorisent même plus: » ils étaient au Mondial de 1982 avec le maillot rouge et blanc. » Le sport forcément, ce qui unit le mieux. Si le Pérou veut éveiller de nouvelles ardeurs, se remettre au ballon rond serait peut-être la solution. Autre option? Conquérir les arènes de lutte, le sport n°1 au Sénégal. Car ce qui préoccupe les gens en cette matinée est le combat au sommet entre deux légendes au nom dignes de chevaux de course: « Modou Lô » ou « Lac de Guiers 2 ». Deux gladiateurs des temps modernes qui s’affronteront quelques heures plus tard. Avec des noms aussi prestigieux que Viracocha, Pachacutec ou Atahualpa, puisés au hasard de leurs racines incas, je prédis un certain succès à la lutte péruvienne. A suivre.
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