L’heure du petit noir

27 février 2011

L’heure du petit noir

La jungle ou je vis est domestiquée pour faire place à d’immenses plantations de café . Alors que les heureux élus de Mondoblog se félicitent je me rends compte que je ne vous ai finalement pas beaucoup parlé de cet Autre Pérou je me suis établie. Pour célébrer les débuts de la récolte du café, rattrapons cela.

Pichanaki est une ville du far-west. Un dédale de rues dont les principales seulement sont pavées, des bouts de piste en terre trouées sur lesquelles sautillent les mototaxis, une architecture de ciment et de tôles perpétuellement inachevée. En toute honnêteté, Pichanaki est assez laide. Mais elle a ses excuses. Le terrorisme ici dans les années 90 a fait fuir de nombreux propriétaires de la zone. Et quand les choses se sont calmées, la ville a repris un essor aussi fulgurant qu’anarchique.

De toute façon, personne n’y prête attention. L’urbanisme n’est pas encore une priorité, ce qui l’est c’est le Roi Café. En ce moment Pichanaki est dans cet état fébrile d’une femme sur le point d’enfanter. Tous prient pour la délivrance: les premiers grains récoltés qui effaceront les dettes et donneront naissance a de nouveaux rêves. Non que les gens consomment beaucoup du précieux nectar. Mon modèle de cafetière italienne est unique dans la ville et la première fois que des producteurs ont goutté à cette essence pure ils ont failli tourner de l’œil sous l’effet du petit noir serré. Le café, ici, on le vénère car il gouverne à lui seul l’économie locale.

Beaucoup possèdent des terres dans les collines environnantes, le charme du lieu pour les amoureux de la nature, et cultivent les précieux grains toute l’année en vue de la récolte qui a commencé depuis lundi. Sur les trottoirs, les terrains de jeux, au fond des cours: le grain couleur cannelle sèche aux quatre coins de la ville. Il faut trois jours pour qu’il atteigne le degré d’humidité ad hoc.

La ville en ce moment est donc un ballet interminable de camionnettes 4×4 qui emmènent vers les collines et ses grains mûrs des dizaines de saisonniers venus des régions montagneuses du Pérou. Toute la semaine, les rues se vident: la frénésie court dans les plantations.

Des les premières lueurs de  l’aube les travailleurs partent, paniers en osier fixés aux hanches, en quête du grain rouge prêt à être récolté. Et ce jusqu’au soir où il sera trié et lavé. La vie est rude, le sol boueux, la couleuvre une collègue de travail impromptue, mais le salaire est correct. Encore plus cette année où il se murmure que le café sec ou « verde » comme on dit ici se vendra 10 soles le kilo (quelques 3 euros), un record pour la zone.

Le samedi les camionnettes descendent avec à leur bord 10 hommes qui n’ont qu’une quête : se divertir, aller danser au son de la cumbia et vider autant de cerveza (bière) que leur corps titubant leur permettra… Le dimanche ils remonteront et sueront les erreurs de la veille sur un terrain de foot en attendant l’aube suivante.

Le rythme des allers et venues, des ouvriers achevant leurs nuits devant la maison du patron, des sacs de café qui s’accumulent jusqu’au pied du lit, va durer jusque fin mai ou juin: quand le caféier, détroussé jusqu’au dernier grain sonnera la fin de la récolte.

Puis la saison chaude viendra, la terre s’asséchera, les hordes de saisonnier repartiront et ceux qui ont eu la patience et l’énergie de mener la récolte oublieront leur labeur dans les eaux fraîches des torrents qui sautillent.

 

 

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