Expat… Un privilège?
Je reprends ici copie d’un article signé Damien Glez et découvert sur slateafrique.com. Je publie peu en ce moment, « de retour au pays » comme dirait Damien, je ne suis pas d’accord sur tout mais ça a le mérite de soulever un débat. On débat bien à tour de bras sur les immigrés en France. Pourquoi pas l’inverse?
Il y a migrant et migrant. L’Ivoirien vivant en France est un «immigré» qu’on regarde volontiers de travers. Le Français vivant en Côte d’Ivoire est un «expatrié», terme plus ronflant —ou plus exactement un «expat’». L’immigré, même s’il s’est résigné à être sans-papiers, a sué de longues heures, sous le soleil, devant un consulat de France tropical. L’expat’ a obtenu d’un battement de cils —voire d’un coup de fil— son visa pour le même soleil. Selon les sources, entre 80.000 et 200.000 Ivoiriens vivraient en France. 13.000 Français sont enregistrés auprès du consulat français de Côte d’Ivoire.
A quelques exceptions prêt, l’expat’ est financièrement très à l’aise, parfois titulaire d’un contrat de travail international qui ajoute à une rémunération de base juteuse des indemnités destinées, sans doute, à calmer ses coups de soleil. Vive la dévaluation du franc CFA, monnaie vassale arrimée à l’euro roi! Les CFA de l’immigré à Paris ne lui sont, par contre, pas d’un grand secours. Pour un café sur une terrasse parisienne, il lui faudra débourser le prix de vingt plats d’attiéké de la célèbre rue Princesse d’Abidjan. Un café —ironie du sort— peut-être cultivé en Côte d’Ivoire…
Comme par miracle, à Abidjan, le niveau de vie d’un gendarme français sans grade dépasse celui d’un officier ivoirien. Protégé par les vitres fumées de son véhicule, sans quitter la «chaîne du froid» de la climatisation, le Français peut aller tranquillement acheter son munster hors de prix, ses endives importées et sa Veuve Clicquot à la température idoine.
«Et alors?», rétorquera l’expat’. L’immigré à Paris est prioritairement technicien de surface quand l’expatrié est souvent technologue d’une multinationale. D’ailleurs, l’Européen d’Afrique semble toujours expert de quelque chose. Qui a vu un blanc manutentionnaire sur le continent noir?
L’expat’ a ses propres écoles (les lycées français) qui ne trouvent pas incongru de respecter un programme spécifique de jours fériés, 11 novembre inclus, convoquant parfois les élèves quand leurs camarades de quartier célèbrent une fête chômée au niveau national. Mais sont-ils finalement des mêmes quartiers? Les expat’ s’agglutinent dans des zones résidentielles chics comme Cocody, et ces rues se considèrent à ce point comme des enclaves qu’elles s’organisent autour d’«ilôtiers» chargés de resserrer sans cesse le tissu français. Et on accusera l’Ivoirien de Montreuil de communautarisme, parce qu’il va manger du mafé dans un foyer africain de Paris.
L’expat’ a son dix-huit trous, même quand aucun Ivoirien n’aurait pensé pratiquer le golf. Imagine-t-on un Sénégalais bâtir en pleine campagne française un stade de lutte traditionnelle? L’expat’ a ses associations, ses bars de prédilection, son centre culturel et même ses sites Internet. Il vit souvent dans sa bulle, quand bien même la moitié des résidents français de Côte d’Ivoire est binationale. Le conjoint d’origine ivoirienne est fréquemment phagocyté par le noyau hermétique des expat’.
L’expat’ en Côte d’Ivoire est un ancien colon quand l’immigré à Paris est abusivement qualifié d’«envahisseur» des temps modernes. Gare aux néocolons, mais peut-on se fâcher contre son banquier? S’ils tiennent jalousement les visas Schengen, beaucoup d’expat’ sont aussi les représentants des PTF, les partenaires techniques et financiers. Quant aux 600 sociétés françaises en Côte d’Ivoire, de Bouygues à Bolloré elles forment un empire à elles seules, représentant 30% du PIB ivoirien.
Les pieds à l’étranger, mais l’esprit toujours en Europe, l’expat’ prépare ses vacances pendant onze mois. Peut-être reverra-t-il plus tôt sa Normandie —aux frais de la princesse— si les autochtones se battent pour une paix qui le regarde peu. Surprotégé, l’expat’, dont le sort sera dramatisé à souhait par ses médias qui inondent le continent africain, deviendra progressivement «rassemblé» puis «exfiltré». Si c’est une maladie qui l’assaille, il sera «rapatrié sanitaire». S’il se sent menacé, l’immigré africain, lui, ne pourra compter que sur les carrelages glacés de l’église Saint-Bernard. Imaginerait-on des militaires ivoiriens, équivalents des trouffions de la Force Licorne, patrouiller sur les Champs-Elysées? Même à titre folklorique ils s’y sont refusés le 14 juillet 2010.
Hors conflit, le parent de l’immigré resté au pays mettra un point d’honneur à accueillir l’expat’ mieux que les étrangers de la même couleur de peau que lui. C’est tout juste si le chef de village ne cédera pas son trône à ce curieux visiteur à la tête de margouillat (la tête rouge sur un corps blafard). Cela n’empêchera pas l’expat’, de retour dans la capitale africaine, de glisser dans l’urne un bulletin Le Pen, comme 4,3% des votants à la présidentielle de 2007 au consulat français de Côte d’Ivoire…
Damien Glez est un dessinateur burkinabé. Il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d’Afrique de l’Ouest.
Pour lui répondre, suivez le lien sur son papier. Pour ouvrir le débat sur l’expat péruvien c’est ci dessous dans les commentaires.
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