Pérou Chat Addict
Une amie journaliste pour Le Monde, ici à Lima, raconte dans » Pérou: Ombres et Lumières » (éd. Toute Latitude), une anecdote probante sur les nouvelles technologies. « Dans certains quartiers, souligne-t-elle, on bricole deux fils à toute force pour avoir Internet alors que l’eau courante n’a toujours pas été installée. » C’est qu’ici il y a des priorités.
Au Pérou, l’usage d’Internet ne fait pas de plis et réponds à deux objectifs uniques: les jeux de guerre en ligne et les réseaux sociaux. Quand on entre dans une « Cabina », un Internet Café, il y a les petits jeunes qui s’interpellent de machine en machine pour savoir si « tu es bien rentré dans la salle Truc?… Attends je te rejoins au carrefour Machin, waouh t’as vu comment je l’ai explosé… » et les autres, silencieux, acharnés, frénétiques du clavier, qui chattent.
La chaleur monte. Il y a 20 ordinateurs dans 10m2 d’espace. La chaise menace de s’effondrer, les touches n’ont plus toutes leurs lettres, mais rien ne fera faiblir l’usager de la Cabina. Jusqu’à la dernière goutte il profitera du quart d’heure, de la demi-heure, de l’heure pour laquelle il s’est inscrit en implorant « quinze minutos mas por favor »… Le monde s’est arrêté. N’existent plus que les fenêtres qui s’ouvrent péniblement les unes à côté des autres, les zumb, les « jajajaja » et les abréviations qui naissent sous ses doigts.
Biensûr ici aussi il y a pléthore de Réseaux sociaux (y compris Hi5 dont je n’avais jamais entendu parler avant et qui fait concurrence à Facebook…), il y a même pour les journaux ou événements spéciaux une nouvelle fonction de « Coordinateur de Réseaux Sociaux », mais, si j’en crois mes voisins ou amis, Messenger n’a toujours pas été détrôné. Quand on ouvre sa session Windows, le Messenger vous demande automatiquement de vous connecter et la plupart ne savent peu de servir d’un moteur de recherche ou d’autres comptes comme gmail. Windows est roi, Hotmail prince, et Messenger souverain, au Royaume des Fils de l’Inca. Et si vous voyagez dans le pays, on vous demandera forcément ce sésame pour rester en contact. C’est d’ailleurs à cause des gringos (les petits Blancs) et leur goût pour les innovations médias que la plupart des péruviens ont aujourd’hui aussi leur Facebook. Les potes péruviens sur MSN. Les internationaux sur Facebook. Il faut bien s’adapter.
Petite maligne que je suis, j’ai souvent laissé traîner un oeil derrière ces chatteurs invétérés ou glissé un languissant « qu’est ce que tu fais???? ». Je n’ai jamais rien pu obtenir de ces investigations pourtant menées si discrètement car, au fond, il ne se dit pas grand chose dans ces conversations à claviers rompus. Dialogue type: « hola, où es-tu, tu fais quoi, super, jajajaja, moi aussi, oui, top, jajajaja… nos vemos, chau chau chau… » Sachant, pour nos lecteurs non-péruviens, que « jajajajaja » est une onomatopée pour dire « hé hé, cool, ah ah… » Il se murmure néanmoins que MSN brise des couples et en forment d’autres. On se laisse si facilement prendre au jeu de la séduction quand elle est sans conséquence.s Et quand il est question de conter fleurette les Péruviens ne sont pas les derniers. C’est rarement suivi d’effets. Juste le piment de quelques mots coquins échangés pour se sentir Conquistador.
Les conversations se croisent, les blagues aussi, on ajoute des contacts à la pelle pour en arriver à des listes de plus de 500 amis, un petit bonhomme jaune vrombrissant par ci, un mort de rire par là…Prescripteur? Fédérateur? Mobilisateur? J’aimerais le penser mais, à bien y regarder, j’ai surtout l’impression que, ici comme ailleurs, on collectionne les profils et les amis pour se sentir moins seul.
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